Réforme des retraites : que pourrait retoquer le Conseil constitutionnel ?

Saisi par la Première ministre et des parlementaires d’opposition, le Conseil constitutionnel fera connaître sa décision sur la réforme des retraites ce vendredi. Si les opposants au texte espère une censure totale, le “jeu n’est pas fait“. Quels sont les points litigieux et que pourraient censurer les Sages ?

Rarement le Conseil constitutionnel aura été autant sous pression. Les neuf sages de la rue Montpensier doivent rendre ce vendredi 14 avril, à 18 heures, des décisions d’une importance majeure. L’une concerne la recevabilité de la demande de référendum d’initiative partagée (RIP) lancée par la gauche. L’autre qui cristallise tous les regards, porte sur la constitutionnalité de la réforme des retraites adoptée au Parlement. Alors censure partielle ou censure totale ? Sur quels motifs ? Explications.

Que contiennent les recours déposés par les oppositions ?

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une part, par la première ministre, Elisabeth Borne qui a annoncé une “saisine blanche“ (qui ne formule pas d’interrogations sur un point particulier), mais aussi par des députés de gauche et du Rassemblement national, dans le cadre de saisines distinctes.

Le recours des députés de la Nupes, qui demande au Conseil constitutionnel “de censurer l’ensemble du texte“, s’articule autour de trois points :

  • la procédure utilisée par le gouvernement, avec le recours à une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS) et à l’article 47-1 de la Constitution (qui limite le débat parlementaire à 50 jours) ;
  • l’insincérité des informations transmises par le gouvernement aux parlementaires ;
  • la présence dans le texte de dispositions qui ne relèvent pas du champ spécifique d’un texte budgétaire, intitulés couramment “cavaliers sociaux“.

Pour sa part, dans sa saisine, le Rassemblement National reprend peu ou prou les mêmes arguments que l’Alliance de gauche. La saisine intergroupes des sénateurs socialistes, écologistes et communistes soulève, en outre, la question de l’accumulation  “inédite“ des instruments de procédure invoqués par le gouvernement pour “contraindre le Parlement à adopter la loi“.

Sur quels points pourrait porter une censure partielle ?

Cette dernière est le scénario le plus probable. Le risque de censure porte principalement sur l’article 2 du texte, soit sur l’index senior et sur le CDI senior, deux dispositions ajoutées après le passage du texte au Sénat. Elles constituent en effet des “cavaliers sociaux“ , c’est à dire, des mesures sans rapport direct avec le véhicule législatif choisi par le gouvernement : un budget rectificatif de la Sécurité sociale. Ce dernier ne peut en effet porter que sur des mesures qui impactent, d’une manière ou d’une autre, les comptes de la Sécu pour l’année 2023.

L’index des seniors et le CDI Seniors semblent donc cocher toutes les cases pour se retrouver censuré par les Sages. ““A minima, il devrait y avoir la censure de ces éléments sur lesquels les parlementaires ont passé beaucoup de temps de discussion. Dans son avis, le Conseil d’Etat avait d’ailleurs souligné ce risque“, rappelle Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. D’autres mesures sont également sur le fil. C’est le cas notamment du compte pénibilité, dont les dispositions pourraient être épinglées pour les mêmes motifs.

Une censure totale du texte est-elle crédible ?

Le 47-1 en cause

Elle est en tous cas réelle. Dans leur saisine respective les groupes de gauche et le RN relèvent que le recours à un texte budgétaire, en l’occurrence un PLFSSR, pour porter une réforme des retraites constitue un “détournement de procédure“. Même si les constitutionnalistes ne sont clairement pas d’accord entre eux, une épée de Damoclès pèse bel et bien sur la réforme du gouvernement. Car le choix dde faire passer sa réforme des retraites par un PLFSSR lui a permis d’utiliser le dispositif prévu au second alinéa de l’article 47.1 de la Constitution.

Or, cette disposition réservée aux textes budgétaires, permet à l’exécutif, passé “un délai de vingt jours après le dépôt d’un projet de loi“, de saisir le Sénat si l’Assemblée nationale n’a pas fini d’examiner le texte dans les délais impartis. “L’argument le plus fort, c’est que le 47.1 n’est pas le véhicule législatif adapté. Le gouvernement l’a utilisé non pas pour rectifier la loi mais pour faire passer sa réforme dans des délais contraints“, indique  Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public, à Paris-II-Panthéon-Assas.

Le président du Conseil lui-même aurait mis en garde.Nous ne voulons pas de détournement de procédure. Nous nous référerons à la sincérité du débat parlementaire“, a déclaré Laurent Fabius,  selon les propos rapportés par Le Canard enchaîné fin janvier. “Si un texte arrive au Sénat sans un vote préalable de l’Assemblée, c’est embarrassant“, jugeait-il. Il y a eu “une contrainte“ sur le Parlement : “Il n’y a pas eu d’étude d’impact, le débat a été limité, il y a eu le vote bloqué, l’article 49 alinéa 3, l’article 38 du règlement du Sénat. Prises en elles-mêmes ces mesures ne sont pas contraires à la Constitution. Mais si on les envisage dans leur globalité, cette accumulation de procédures peut avoir vicié le consentement du Parlement“, explique pour sa part Paul Cassia

Une multiplication des leviers de procédure

Outre le recours au 47.1, le grand nombre d’instruments de procédure sollicité par le gouvernement, pose aussi question. Il pourrait constituer une atteinte à “la clarté et la sincérité du débat parlementaire“. Pour l’opposition, ces outils sont perçus comme une limitation du temps de parole et une atteinte à la bonne tenue du débat parlementaire.

Est ainsi montré du doigt l’usage par l’exécutif de l’article 44 de la Constitution (dont le 2ème alinéa permet de déclarer irrecevables un certain nombre d’amendements), de l’article 38 du règlement du Sénat (permettant de clôturer le débat sur un article dès lors que deux orateurs d’avis contraire sont intervenus dans la discussion), 42 de ce même règlement (utilisé pour limiter les prises de parole et fixer un temps de parole forfaitaire aux groupes politiques), 44 alinéas 2 et 3 (qui a permis de demander le vote bloqué du Sénat sur le texte) et enfin de l’article 49.3, pour faire adopter le texte sans vote, pour la seconde fois, à l’Assemblée nationale. Si tous ces instruments sont conformes à la Constitution, pris indépendamment, leur accumulation pose question.

Le Conseil constitutionnel ira t-il au bout de sa démarche ?

Retoquer l’intégralité d’une telle réforme ferait “changer le Conseil constitutionnel de dimension“, estime le constitutionnaliste Bastien François. “Cela serait un camouflet gigantesque“. Si le débat juridique n’exclut pas la censure, reste à savoir si le Conseil constitutionnel ira jusque-là. Car cette institution est à part. Sa composition lui donne une double nature : juridique et politique. “Le Conseil constitutionnel juge le droit mais prend en compte aussi les aspects politiques. Cela fait partie de son rôle“, résume Paul Cassia.

Existe t-il des précédents ?

En remontant le fil du temps on en trouve un. Une censure globale sur un texte budgétaire pour des raisons de procédure a déjà eu lieu le 24 décembre 1979, date où le Conseil constitutionnel avait censuré la loi de finances dans sa totalité. Les Sages avaient alors déclaré le texte contraire à la Constitution, reprochant à l’Assemblée nationale d’avoir commencé à examiner la deuxième partie du texte sur les dépenses avant le vote de la première sur les recettes. En 2012, le Conseil avait également censuré totalement la loi Duflot sur le logement social, mais ne s’agissait pas d’un texte budgétaire, mais l’on peut faire néanmoins un rapprochement avec les griefs portés à l’encontre de la réforme des retraites.

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