Les 32 chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Alliance atlantique se réunissent à la Haye les 24 et 25 juin, pour un sommet décisif. Au coeur des enjeux : l’augmentation sous pression américaine du budget consacré à la défense à hauteur de 5 % du PIB des États membres, pour faire face à la menace russe.
C’est un rendez-vous crucial marqué d’une croix rouge dans les agendas des dirigeants occidentaux des 32 pays membres de l’Otan. Réunie en sommet à la Haye (Pays-Bas), les 24 et 25 juin, l’Alliance atlantique doit définir de nouveaux moyens correspondant à sa vision des futurs conflits. Les délibérations devraient notamment se concentrer sur un point central : l’engagement de ses États membres à consacrer 5% de leur produit intérieur brut (PIB) à leurs dépenses de défense, sous peine de désengagement américain sur le Vieux Continent.
Une demande émise de longue date par le président Donald Trump, qui a été récemment reprise par le secrétaire général de l’Alliance. “À La Haye, nous conviendrons d’un objectif de dépenses de défense de 5 % du PIB pour les États membres“, a déclaré le Néerlandais, Mark Rutte, qui présidera son premier sommet de l’organisation transatlantique depuis sa prise de fonctions, en octobre 2024. Une cible très ambitieuse, sachant que la moyenne des pays membres est aujourd’hui de 2%, en accord avec la règle fixée en 2006 par les Alliés.
Un budget “à tiroirs“
Lors de leur dernière réunion le 5 juin à Bruxelles, les ministres de la Défense des pays de l’Otan se sont entendus sur cet objectif de 5 %, sous certaines conditions. Afin de donner des gages au président américain sans ruiner les finances des alliés, le secrétaire général de l’Alliance a proposé début mai que cet objectif soit scindé en deux. Pour atteindre le seuil symbolique de 5 %, les Etats pourront présenter un budget à tiroirs : d’une part, 3,5 % du PIB serait consacré aux dépenses militaires en tant que telles et d’autre part, 1,5 % du PIB dédié aux dépenses connexes à la défense, notamment liées à la cybersécurité ou à la sécurité du pays de manière générale, comme la mise à niveau d’infrastructures routières, par exemple. Les aides aux industries de défense pourront aussi être prises en compte dans ces 1,5 %. Mark Rutte qui a dévoilé ce nouveau cadre avant le sommet des dirigeants, la décrit comme un “grand bond en avant“, indispensable pour renforcer la dissuasion au sein de l’alliance. Certains points restent toutefois encore à débattre, comme le délai d’application et le financement de cet objectif chiffré. L’objectif serait d’y parvenir à horizon 2035, et non plus 2032, comme prévu initialement.
Un défi de taille pour nombre de pays membres
Selon les estimations de l’Alliance pour 2024, huit des trente-deux pays membres de l’Otan consacreraient encore moins de 2 % de leur PIB à la défense, bien que cette règle soit en vigueur depuis près de vingt ans. Si la Pologne et les pays baltes tutoient le niveau de 5 % pour leur défense, et que les Allemands envisagent un effort énorme, la plupart des pays alliés en sont très éloignés. Fin mai, le Royaume-Uni a fait savoir qu’il n’atteindrait pas 3 % du PIB avant 2034. La France se situe elle tout juste au-dessus, avec 2,06 % de son PIB. Il lui faudra donc trouver jusqu’à 8 milliards d’euros par an par rapport à ce qui est déjà prévu dans la loi de programmation militaire si la cible de 3,5 % en 2030 est retenue, alors que l’exécutif cherche déjà 40 milliards d’euros d’économies pour 2026.
Une analyse de POLITICO révèle des écarts significatifs entre les pays d’Europe de l’Est qui dépensent le plus et ceux, plus éloignés de la Russie, qui progressent encore vers un objectif vieux de dix ans. Les 32 États membres se répartissent en trois groupes : les gagnants, les progressistes et les retardataires. La plupart des pays occupent une position intermédiaire serrée, ne se rapprochant pas tout à fait du nouvel objectif de 5 %, mais progressant sensiblement pour dépasser la barre actuelle de 2 %. En ce qui concerne l’objectif des 3,5 %, seule la Pologne dépasserait ce seuil aujourd’hui, avec un effort estimé à 4,12 %.
The winners and losers in Trump's NATO arms race https://t.co/4PUc04D0tY
— POLITICO (@politico) June 22, 2025
L’Espagne et la Slovaquie refusent de s’aligner
En amont du sommet, M. Rutte a soumis une proposition d’accord aux Etats-Unis, qui l’ont validée. Le sommet de l’Otan devait permettre aux chefs d’État et de gouvernement d’entériner cette dernière. C’était sans compter sur sur Pedro Sánchez. Dans un courrier adressé le 19 juin au secrétaire général de l’Otan, le Premier ministre espagnol a signifié le refus de son pays de s’engager à atteindre l’objectif de consacrer 5 % du PIB national aux dépenses de défense au cours de la prochaine décennie. “Ce ne serait pas raisonnable voire même contre-productif“, a affirmé le dirigeant socialiste. Ne souhaitant pas “limiter les ambitions de dépenses des autres pays“ ni de compromettre les résultats du sommet de l’Otan, le chef du gouvernement espagnol propose ainsi d’inclure dans les conclusions de la réunion “une formule plus flexible“ qui permettrait de dispenser l’Espagne de cet objectif des 5 %. Également en résistance, la Slovaquie, qui a été jusqu’à menacer, le 17 juin, par la voix de son premier ministre, Robert Fico, proche des sphères prorusses, de se retirer de ce “club“ dont la “cotisation“ est devenue exorbitante, selon ses termes.
Un sommet décisif pour la défense européenne
Entre la guerre qui s’enlise en Ukraine, les tensions persistantes au Moyen-Orient et les préoccupations sécuritaires croissantes en Indo-Pacifique, l’Europe se voit forcée de remettre en question sa dépendance historique à l’égard des États-Unis pour sa défense. Parallèlement à l’augmentation des dépenses, l’OTAN place fortement l’accent sur l’interopérabilité et la convergence des capacités. Mark Rutte a clairement affirmé que l’argent ne suffirait pas à assurer la posture de défense de l’Europe; ce qui compte, c’est la manière dont il est dépensé et les capacités qu’il permet de développer. L’alliance concentre désormais ses efforts sur des résultats capacitaires concrets, en particulier dans les domaines à haute priorité, tels que la défense aérienne et antimissile, les frappes à longue portée, la logistique à haute mobilité et les réseaux RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) intégrés.
A l’avant-veille du sommet, les Européens sont aussi engagés dans des discussions musclées pour que la Russie soit considérée comme une “menace“, contre l’avis de l’administration Trump. Le malaise devrait donc se lire, au minimum, dans le communiqué final du sommet, d’ores et déjà annoncé comme “court“ et “synthétique“.
Une reprise en main musclée du pilotage de l’Alliance
Sur fond de dissensions sur la façon d’appréhender la menace russe, ce sommet 2025 pourrait se doubler d’une crise sur le pilotage stratégique de l’Alliance atlantique. Depuis son arrivée à la tête de l’OTAN, M. Rutte a en effet amorcé une vaste réorganisation interne. Objectif assumé : achever la transition de l’OTAN lancée avec la guerre en Ukraine pour la sortir pour de bon de la “mort cérébrale“ moquée, en 2019, par le président français Emmanuel Macron. Une réforme menée au pas de charge, qui a toutefois conduit à un malaise. Le changement de priorités de l’administration américaine a par ailleurs aussi déjà commencé à modifier certaines politiques de l’Alliance, notamment toute la coopération sécuritaire hors Europe, avec le Sud ou l’Asie-Pacifique. “Désormais, la nouvelle administration américaine souhaite que les Européens se concentrent sur leur cœur de métier historique, la défense collective du continent. Cela contrarie pas mal de membres du sud de l’Alliance.“ “On sent réellement une division claire 31-1 au sein de l’OTAN sur nombre de politiques“, indique une source au sein de l’organisation.
Avant le sommet de La Haye, malaise à l’OTAN sous la pression américaine