Présidentielle en Turquie : Erdogan joue sa survie

Ce dimanche 14 mai 2023, 60 millions de Turcs sont appelés à voter pour élire leur président et leurs députés. Confronté pour la première fois en vingt ans à une opposition unie, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, joue sa survie politique. Crise économique, inflation galopante, dérive autoritaire, gestion des séismes du 6 février, sont autant de raisons qui pourraient faire basculer l’élection.

 “Panser les plaies.“ C’est avec ce mot d’ordre que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, candidat à sa succession, a lancé le 10 mars dernier sa candidature depuis le palais d’Ankara. A la tête du pays depuis bientôt 20 ans, et consolidant à son profit un régime de plus en plus autocratique et répressif, le reis de 69 ans, mène cette fois un combat d’une autre nature : sa survie politique. Pour le président sortant, la possibilité d’un troisième mandat pourrait bien être compromise. La dernière enquête d’opinion rendue publique jeudi par le réputé institut Konda crédite M. Erdogan de 43,7%  des suffrages au premier tour, contre 49,3% pour Kemal Kiliçdaroglu, son adversaire le plus sérieux depuis son arrivée au pouvoir.

Trois candidats en lice

Trois candidats se présentent au premier tour. Si aucun d’eux n’obtient 50 % des voix à l’issue du scrutin, un second tour départagera les deux premiers le 28 mai.

Recep Tayyip Erdogan

Fondateur et président de l’AKP (Parti de la justice et du développement), installé au sommet du pouvoir depuis mars 2003, Recep Tayyip Erdogan, 69 ans, est sorti vainqueur de toutes les élections auxquelles il s’est présenté : législatives en 2003, 2007, 2011, 2015 et 2018, présidentielle en 2014 et 2018. Comme pour la dernière élection, il a noué avec plusieurs partis d’extrême droite, dont les Loups gris du MHP (Parti d’action nationaliste), l’Alliance de la République.

Il promet à ses électeurs une Turquie puissante qui tient en respect l’Occident. En particulier au travers de grands projets : des aéroports, des ponts ou encore des extractions de gaz. Le président sortant a dévoilé un vaste programme de réformes pour faire de la Turquie l’une des 10 plus grandes économies du monde. Les mesures annoncées visent à renforcer l’économie de son pays, à assurer une forte croissance dans les années à venir, tout en baissant l’inflation et garantissant une hausse des investissements étrangers. Il promet également une exemption d’impôts pour près de 850 mille commerçants turcs aux faibles revenus.

Kemal Kiliçdaroglu

À la tête d’une opposition longtemps très timorée face aux dérives du régime, il est est l’anti-Recep Tayyip Erdogan et se rêve en sauveur d’une démocratie turque abîmée par vingt années de pouvoir sans partage. Il promet s’il est élu de rompre avec l’ère d’Erdogan. Kemal Kiliçdaroglu se pose notamment en laïc face au président islamo-conservateur et promet la liberté d’expression après la dérive autocratique. Le leader de l’opposition jure de ramener la démocratie par un retour à un système parlementaire et une justice indépendante. Il assure enfin qu’il expulsera en deux ans les millions de Syriens réfugiés en Turquie.

Cet ancien fonctionnaire, qui préside depuis 2010 la destinée du CHP (Parti républicain du peuple, kémaliste), héritier du parti unique d’Atatürk, est pour l’heure en tête des sondages. Soutenu par une coalition de six partis, il pourrait obtenir 54,6 % des suffrages au second tour, selon un sondage de l’institut ORC rapporté par le quotidien turc Cumhuriyet. Le leader de l’opposition le sait : il a une vraie chance de défaire dans les urnes celui qui tient les rênes du pays depuis deux décennies.

A 74 ans, aussi terne et vieux jeu qu’Erdogan reste charismatique, Kemal Kiliçdaroglu a mené une campagne habile, jouant du contraste à son profit, bénéficiant de la popularité de ses alliés, à commencer par le maire d’Istanbul. Il s’attaque au bilan économique de son adversaire, dont la terrible inflation qui frappe les classes moyennes. Il dénonce également la gestion du séisme du 6 février dernier et la corruption dans le secteur du bâtiment.

Un outsider

A l’origine, deux petits candidats, Muharrem Ince, instituteur âgé de 59 ans et ancien candidat à la présidentielle en 2018 et Sinan Ogan, 55 ans, ancien député du parti d’extrême droite MHP se présentaient au scrutin suprême. Le premier a annoncé ce jeudi 11 mai le retrait de sa candidature, une décision susceptible de favoriser l’élection de Kemal Kiliçdaroglu. Ayant peiné à réunir les 100000 signatures nécessaires, Sinan Ogan, désormais seul en lice, restera selon toute vraisemblance, sous la barre des 5 % et n’a aucune chance de rallier le second tour.

Est-ce la fin du règne d’Erdogan ?

Sous le feu de nombreuses critiques lui reprochant notamment un bilan économique catastrophique et son autoritarisme, le président turc paraît pour la première fois en difficulté malgré un temps de parole 60 fois supérieur à celui de son rival à la télévision publique. Multipliant les meetings géants, comme ce dimanche 7 mai à Istanbul, le reis tente de convaincre les derniers indécis.

Si le dirigeant turc peut compter sur près de 30% d’irréductibles partisans, nul ne peut toutefois prédire l’impact qu’aura son bilan. Crise économique, inflation galopante, dérive autoritaire, gestion des séismes du 6 février, sont autant de raisons qui pourraient qui lui coûter son luxueux palais d’Aksaray, à Ankara. Depuis 2018, la Turquie traverse une crise économique de grande ampleur, qui s’aggrave d’année en année. Le soutien d’Erdogan a diminué au cours des dernières années alors qu’une série de krachs monétaires et une aggravation de la crise du coût de la vie ont été provoquées par sa politique de réduction des taux d’intérêt face à la flambée de l’inflation.

L’épisode du séisme meurtrier qui a touché le pays début février, faisant officiellement plus de 50 000 morts, a également soulevé de nombreux doutes autour de la gestion de la crise par le pouvoir. Critiqué notamment pour la lenteur d’action, le président Erdogan a été la cible de vives critiques pour son manque d’anticipation de la catastrophe. “Ce qui est reproché à Erdoğan, c’est le fait que l’on ait permis de construire des bâtiments au mépris de toutes les normes antisismiques alors même qu’on était dans une zone à risque“, explique Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient.

D’autres facteurs pourraient expliquer la baisse de popularité du président sortant, notamment la cassure avec une partie de la jeunesse. “Une majorité de la jeunesse turque est contre lui, notamment les primo votants. Une partie de ces jeunes ne supporte plus l’ordre moral qu’Erdogan veut apposer dans toute la société“, pointe Didier Billion.

Le sort du Reis suspendu au vote des jeunes

Six  millions d’électeurs se rendront pour la première fois aux urnes le 14 mai, soit 10 à 12 % des 62 millions de Turcs enregistrés sur les listes. Une génération qui n’a connu qu’un seul leader à la tête du pays depuis 2002, Recep Tayyip Erdogan, d’abord comme Premier ministre puis comme président. Imprévisible, cet électorat pourrait faire basculer des élections. À l’approche du scrutin du 14 mai prochain, le sort du président sortant est lié à la mobilisation d’une génération qui n’a connu que lui à la tête du pays.

Dans cette course serrée, les primo-votants se voient cajolés par les deux camps. A l’approche du scrutin, Erdogan et Kiliçdaroglu rivalisent de promesses pour séduire la génération Z (taxe supprimée sur l’achat des téléphones portables, forfait internet gratuit, carte jeunes, etc.). “Le vote Erdogan est moindre chez les jeunes. Les primo-votants sont plus modernes et moins religieux que l’électeur moyen et plus de la moitié sont insatisfaits de la vie qu’ils mènent“, résume Erman Bakirci, chercheur à l’institut de sondages Konda. Selon un récent sondage, seuls 20 % des 18-25 ans annoncent ainsi voter pour le président turc et son parti lors du double scrutin du 14 mai.

 

 

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