Loi immigration : ce que le Conseil constitutionnel pourrait censurer

Saisi séparément par le chef de l’État et la gauche, le Conseil constitutionnel se prononcera ce jeudi 25 janvier sur la régularité de la loi immigration votée mi-décembre. Cavaliers législatifs, ruptures d’égalité, atteintes aux droits fondamentaux… Une trentaine de mesures sur la sellette, pourraient être retoquées par les Sages.

Sa décision est très attendue. Le Conseil constitutionnel se prononcera ce jeudi 25 janvier sur la régularité de la controversée loi immigration, adoptée mi-décembre, a annoncé le 8 janvier son président Laurent Fabius, lors des vœux de l’institution à Emmanuel Macron. Au 26 décembre, l’institution avait enregistré quatre saisines : celle de députés et sénateurs de gauche, demandant aux Sages de se prononcer sur la constitutionnalité de ce texte, et deux autres plus inhabituelles en provenance de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet et du président de la République.

Dès le lendemain du vote du texte issu de la Commission mixte paritaire, le gouvernement avait annoncé qu’Emmanuel Macron le transmettrait au Conseil constitutionnel. Dans sa saisine, le locataire de l’Élysée évoque “’l’évolution du texte par rapport à sa version initiale“ et explique vouloir “que les dispositions de la loi ne puissent être mises en œuvre qu’après que le Conseil constitutionnel aura vérifié qu’elles respectent les droits et les libertés que la Constitution garantit“.

Le chef de l’État avait ensuite lui-même déclaré, le 20 décembre sur France 5 : “Je le soumettrai au Conseil constitutionnel, parce que je pense qu’il y a des dispositions qui ne sont pas conformes à notre Constitution.“ Le Conseil constitutionnel n’est pas “une chambre d’appel des choix du Parlement, il est le juge de la constitutionnalité des lois“, avait alors riposté Laurent Fabius, à l’occasion des vœux de l’institution.

Une trentaine de mesures susceptibles d’être retoquées

Cavaliers législatifs, ruptures d’égalité, atteintes aux droits fondamentaux… Sur les 86 articles du texte examiné jeudi, une cinquantaine sont contestés. La plupart sont ciblés en tant que “cavaliers législatifs“, c’est-à-dire qu’il s’agirait d’ajouts sans lien suffisant avec la copie initiale du gouvernement. D’autres sont attaqués parce qu’ils contreviendraient aux principes fondamentaux. Certains, enfin, cumulent les deux griefs.

Au lendemain du vote du projet de loi immigration, le président de la commission des lois, Sacha Houlié (Renaissance), estimait quant à lui à une “trentaine“ le nombre de dispositions votées par l’Assemblée, pouvant tomber sous le coup de l’inconstitutionnalité. Lesquelles ? Interrogée sur le sujet, Elisabeth Borne s’était contentée d’exposer : “Il peut y avoir des dispositions sur lesquelles nous avons alerté sur nos doutes, à deux titres : à la fois sur le fond et sur le fait que normalement, quand on débat d’un texte de loi, on ne peut pas y rattacher des amendements qui n’ont pas de rapport avec le texte.“ C’est ce que l’on appelle, en droit parlementaire, des “cavaliers législatifs“. Une pratique dont l’interdiction découle de l’article 45 de la Constitution.

L’instauration de “quotas“ fixés par le Parlement

Parmi les mesures sur la sellette, l’article premier du texte qui prévoit l’organisation d’un débat annuel au Parlement afin de fixer des quotas migratoires, ce qui pourrait représenter une rupture d’égalité. “Inconstitutionnel“, aux yeux du camp présidentiel, car cela constituerait une “injonction“ du Parlement à l’exécutif et une “discrimination“ entre étrangers dans des situations similaires, mais séparés par le “seuil“ du quota. “Demander un statut légal en France dépend de critères fixés par le législateur. Mais ces critères vous ne pouvez pas les appliquer de manière arbitraire, à géométrie variable. Si ces critères sont appliqués à une centaine d’entrants mais pas au 101e pour des raisons qui n’ont pas trait à sa situation […] C’est fondamentalement problématique“, explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Panthéon-Assas.

La durée de résidence minimale pour toucher des prestations sociales

Est aussi dans le viseur, le conditionnement des prestations sociales à la situation professionnelle et à la durée de résidence, renvoyant à “une préférence nationale : cinq ans de résidence en France pour ceux qui ne travaillent pas, trente mois pour les autres, pour les allocations familiales, et pour l’aide personnalisée au logement (APL), cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas et trois mois pour les autres. Les détracteurs de la mesure y voient une rupture d’égalité devant la loi.

La caution étudiant

Même débat sur une éventuelle “rupture d’égalité“ de la “caution étudiant.“ Imaginée et poussée par les sénateurs Les Républicains lors du vote de la loi à la chambre haute, la caution retour sera un préalable pour les étudiants étrangers souhaitant obtenir un titre de séjour. Ils devront déposer une somme, sur un compte bloqué, visant à couvrir d’éventuels frais d’éloignement. Une somme qui leur sera restituée quand ils quitteront le pays.

Le durcissement des conditions de regroupement familial

La réponse du Conseil sera également scrutée sur le durcissement du regroupement familial, dont la nécessité pour le demandeur de disposer d’une assurance maladie, ou que son conjoint à l’étranger ait 21 ans au minimum plutôt que 18 ans.

Restriction du droit du sol

Des dispositions comme “la restriction du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France“ pourraient  aussi être considérées comme des “cavaliers législatifs“, sans lien avec le projet de loi.

 La déchéance de nationalité pour les meurtriers de policiers

Autre point à surveiller : la déchéance de nationalité pour les Français binationaux condamnés pour meurtre d’un policier. Une dangereuse rupture de l’égalité devant le droit, pour le sénateur Yan Chantrel : “À partir du moment où vous différenciez deux types de ressortissants dans le droit français, vous faites une distinction au sein même de la communauté nationale“. Si cette mesure entrait dans la loi, elle risquerait ainsi d’ouvrir “une brèche qui pourra être utilisé plus tard pour des délits de droit commun. “Il est là le danger“, alerte l’élu.

Si une censure de l’ensemble de la loi est jugée peu probable (seules vingt lois ont été jugées non conformes depuis 1958), nombre de constitutionnalistes et responsables politiques s’attendent à une censure partielle. La question est de savoir si le juge constitutionnel se contentera de censurer les cavaliers législatifs ou ira plus loin.
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